Mardi matin 11 mars, 24 propriétaires de meublés ont été convoqués devant le tribunal de La Rochelle. La Ville, à l’origine des poursuites, leur reproche de ne pas avoir respecté les règles administratives pour louer leurs biens. A la barre, des justiciables loin d’être des délinquants ont été sidérés par les amendes civiles demandées. Les montants sont exorbitants.

Neuf heures ce mardi 11 mars 2025. Dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire de La Rochelle, une dizaine de justiciables attendent patiemment que la salle d’audience ouvre ses portes. La plupart sont anxieux. Certains sont accompagnés d’un avocat. D’autres ont décidé de plaider seul leur cause, comme le leur permet la loi en la circonstance.

Un point commun les lie tous. Ils sont propriétaires d’un bien à La Rochelle qu’ils louent de temps à autre sur les plateformes comme Airbnb, Booking ou le Boncoin. Ce sont des gens modestes qui ont souvent souscrit un prêt immobilier pour acquérir un petit appartement. Ils sont originaires de Bordeaux, Poitiers, Saumur… notamment.
Un autre point commun les rassemble : il n’ont pas, estime la Ville de La Rochelle par la voix de ses avocates, Me Hélène Viel et sa consœur Me Eléonore Macé, effectué les démarches administratives adéquates pour louer en toute légalité leur appartement ou maison secondaire.

Pas de faute pénale

C’est d’ailleurs ce qui a été rappelé à M. Pierre Mesnard, président du Tribunal judiciaire de La Rochelle, saisi ce mardi dans le cadre d’une « assignation en procédure accélérée », une forme de référé. C’est du droit civil. Point de procureur de la République en la circonstance. Il n’y a aucune faute pénale à reprocher aux propriétaires.

Pierre Mesnard, Président du Tribunal Judiciaire de La Rochelle. Photo La Rochelle info – Amanda BRONSCHEER

« Les dossiers que nous allons plaider devant vous sont dans la ligne de ceux que nous avons déjà plaidé en janvier dernier et qui ont fait l’objet de condamnation à des amendes civiles », indiquent les deux avocates de la Ville de La Rochelle qui rappellent le contexte à la fois immobilier et touristique de la préfecture de la Charente-Maritime.

« La Rochelle a un fort pouvoir d’attraction touristique et de nombreux biens sont ainsi loués sur des plateformes. Dans le même temps, la Ville de la Rochelle a dressé le constat qu’il existait une pénurie de logements à l’année. Les élus ont exprimé un choix politique de ne pas rester inactifs. Cela se traduit par la volonté de conserver des logements loués à l’année tout en gardant une attraction touristique. »

Une réglementation spécifique à la Rochelle

Ainsi, rappelle la Ville, « il y a cinq ans, La Rochelle a adopté une réglementation spécifique. Soit on est propriétaire occupant de son logement, et dans ce cas-là, il est possible de le louer 120 jours maximum dans une année. Et une simple déclaration suffit. Soit on est propriétaire non occupant, et dans cette seconde hypothèse, il convient de faire une déclaration de changement d’usage de la maison secondaire ».

De gauche à droite : Me Hélène Viel, avocate représentant le Vilel de La Rochelle, Marie Nédellec adjointe à a Mairie de La Rochelle, Me Eléonore MAcé, avocate, Photo La Rochelle info – Amanda BRONSCHEER

Ceci avait d’ailleurs été rappelé lors d’une précédente audience : « Depuis octobre 2019, dans dix communes de l’agglomération rochelaise, les locations de meublés touristiques doivent faire l’objet d’une déclaration et d’une demande d’autorisation temporaire de changement d’usage. Un numéro d’enregistrement est alors délivré, obligatoire pour toute annonce de location. »

De nombreux justiciables ont mis en cause le côté didactique du site Declaloc par lequel les propriétaires de meublés doivent déclarer leur activité.

De la négligence ?

Ce qui était reproché à la vingtaine de propriétaires assignés devant le président du Tribunal de La Rochelle, est de ne pas avoir procédé à une seconde formalité après l’obtention de leur numéro de déclarant, indispensable dès lors qu’il s’agit d’un logement secondaire. Ont-ils volontairement voulu contourner les règles municipales ? Pas sûr si l’on en croit les explications qui ont été données à la barre.

Ainsi, a-t-on pu entendre à plusieurs reprises que ces propriétaires louaient de septembre à juin leur logement à des étudiants. Et l’été, en Airbnb. « Mais jamais nous n’avons voulu frauder », assurent ces propriétaires visiblement de bonne foi. « On s’est enregistrés normalement. Mais on n’a pas vu sur le site de la Déclaloc qu’il fallait un second agrément. Ce n’était pas clair. Nous, on a déclaré nos revenus locatifs perçus par la plateforme, réglé les taxes de séjour. C’est de la négligence. « 

Les lampistes condamnés

Cette version des faits et cette bonne foi de ces contribuables ont d’ailleurs été mises en avant par leurs avocats. L’un d’eux a notamment plaidé que son client n’avait « jamais eu l’intention de frauder. La preuve : il a déclaré les revenus fonciers générés et réglés la taxe de séjour. La Ville était au courant et n’a fait aucune remarque… »

Un peu plus tard, Me Charles Rominger, du barreau de Paris a notamment mis en avant qu’il s’agissait de petits dossiers. « La Ville a assigné les lampistes, pas les plateformes. Les vrais fraudeurs ne sont pas convoqués ». Et de s’interroger : « Comment la Ville a-t-elle eu les dossiers des particuliers ici présents ? A-t-elle respecté les règles de RGDP (lire plus bas) ? »

Dans le même ordre d’idée, Me Marc-Antoine Julien s’interroge sur la légalité du site Déclaloc. Partant du principe qu’il ne l’était pas, il a demandé que son client soit exonéré des sanctions que la Ville a demandé contre lui.

Amende : 50 % du revenu foncier

Ces sanctions pécuniaires ont aussi fait réagit les mis en causes. Et pour cause. la Ville souhaite que ceux qui n’ont pas respecté les règles administratives soient sanctionnés d’une lourde amende civile : « 50 % du revenu foncier ». Cela peut s’élever à plusieurs milliers d’euros pour des particuliers qui ont depuis régularisé leur situation. A cela s’ajoutent les honoraires d’avocats des défendeurs et les frais non compris dans les dépens (une somme versée par le perdant, à la partie qui gagne).

De gauche à droite : Me Charles Rominger, Me Mathilde Block, Me Marc-Antoine Julien. Photo La Rochelle info – Amanda BRONSCHEER

« C’est énorme pour nous », fait observer un couple du Maine-et-Loire qui avait « cru tout bien faire » en obtenant son numéro d’enregistrement réclamé par les plateformes pour publier leur annonce de location. « A aucun moment, Airbnb ne nous a demandé autre chose. De même, le site Déclaloc ne nous a pas alerté sur le fait qu’on n’avait pas terminé nos démarches. »

A l’instar des autres propriétaires, le couple a demandé que l’amende soit ramenée à de plus justes proportions. « Ce n’est qu’une négligence de notre part. Depuis, nous avons régularisé. » D’autres ont carrément arrêté de louer.

« Nous ne savons pas qui est de bonne ou mauvaise foi »

Ville de La Rochelle

« Nous avons demandé à un commissaire de justice de vérifier si le site était compréhensible », vient contredire une des deux avocates de la Ville de La Rochelle. «  Son rapport d’une trentaine de pages est clair : le site fonctionne bien. Il faut 14 minutes pour s’inscrire », ajoutant plus loin : « Depuis plusieurs années, nous avons des propriétaires qui sont réfractaires aux règles. Nous savons que certains agissent d’une manière volontaire et d’autre d’une manière involontaire. Nous ne savons pas qui est de bonne ou de mauvaise foi. Sachez que la Ville ne prend aucun plaisir à assigner les propriétaires. »

D’autres procès en vue

Aux termes d’une heure et demi de procès, le président du tribunal qui a longuement écouté les propriétaires a indiqué qu’il mettait tous les dossiers en délibéré au 8 avril 2025.

A la sortie de la salle d’audience, Marie Nedellec, élue rochelaise en charge du dossier des meublés qui a assisté au procès, nous a confirmé qu’il y aurait d’autres propriétaires de meublés assignés devant cette juridiction au cours des prochains mois.

Amende civile : qu’est-ce donc ?

A savoir : RGPD

Le règlement général sur la protection des données (RGPD) responsabilise les organismes publics et privés qui traitent leurs données. Le RGPD est un règlement de l’Union européenne qui constitue le texte de référence en matière de protection des données à caractère personnel. Il renforce et unifie la protection des données pour les individus au sein de l’Union européenne. Dans le cas présent, un avocat s’est interrogé sur la légalité du transfert des données de l’Agglo de La Rochelle qui collecte les taxes de séjours, à la Ville de la Rochelle qui a pu s’en servir pour poursuivre les propriétaires des meublés.