La Rochelle Info s’est s’entretenu avec le Docteur Isabelle Bossé, allergologue et vice-présidente de la Fédération Française d’allergologie, pour discuter des facteurs contribuant à la montée des allergies et des actions à entreprendre pour y faire face.
Cet entretien a été réalisé quelques heures avant la conférence « Les allergies augmentent. Pourquoi ? Quelles solutions ? » de ce jeudi 25 avril à La Rochelle.
Selon l’OMS, 50 % de la population sera allergique d’ici 2050
Pour le Docteur Bossé, l’alimentation et les modes de vie aux côtés des impacts des changements environnementaux sont principalement impliqués dans cette augmentation sans précédents des allergies. Néanmoins, des actions et solutions concrètes pour atténuer cette prévalence grandissante.
Le problème est vaste et complexe, mais nous devons nous mobiliser (comme pour d’autres maladies) pour faire mentir l’OMS et qu’il n’y ait pas une personne sur deux allergique en 2050. Les causes à la fois génétiques et environnementales au sens large du terme font la complexité des solutions à imaginer, les idées ne nous manquent pas mais il faut une concertation avec les pouvoirs publics pour mettre en œuvre ces solutions.
Dr Isabelle Bossé
Cette conférence est la cinquième du cycle de conférences « La santé en questions » également retransmise sur la chaîne Youtube de l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle Aquitaine.
De multiples facteurs contribuent à l’augmentation des allergies
La Rochelle info : Quels facteurs principaux contribuent à l’augmentation des allergies aujourd’hui, et comment cette tendance se compare-t-elle aux décennies précédentes ?
Docteur Isabelle Bossé : « Les facteurs sont multiples, coïncident avec le développement industriel et les modifications du mode de vie à partir des années 60 environ. La crise énergétique a poussé à fermer les bâtiments pour économiser de l’énergie, d’où une pollution intérieure accrue. Le nombre de véhicules très polluants à cette époque a considérablement augmenté, entraînant une pollution de l’air extérieur (gazeuse et particulaire). Le mode d’alimentation s’est transformé avec l’apparition des industries agro-alimentaires et nombre de molécules ajoutées dont les effets néfastes sont visibles maintenant. L’hyper hygiénisme de ces années 60/80 a modifié la réponse immunitaire qui s’est détournée de sa fonction principale (la défense contre les virus bactéries etc..) pour s’orienter vers une défense inappropriée contre des éléments naturellement tolérés par notre organisme (poils d’animaux, pollens, acariens…). »
L’impact des changements environnementaux
LRi : En quoi les changements environnementaux, tels que la pollution ou le réchauffement climatique, influent-ils sur la prévalence des allergies, et quelles sont les conséquences à long terme de ces changements ?
Dr Isabelle Bossé : « La pollution augmente la fragilité des voies respiratoires, et permet la pénétration plus facile des allergènes dans les voies respiratoires. La pollution modifie également structurellement les grains de pollens, les rendant plus agressifs pour le système immunitaire. Les modifications climatiques perturbent les végétaux, qui pollinisent plus et plus longtemps, et les végétaux ont déjà commencé et vont continuer à « migrer » vers des régions où ils n’existaient pas. La diminution de la biodiversité est également un facteur aggravant. La prévalence des maladies allergiques ne cesse d’augmenter, actuellement environ 30 % de la population occidentale, 50 % à l’horizon 2050. »
Un véritable enjeu économique et un défi pour la santé publique
LRi : Quels sont les groupes de population les plus touchés par cette augmentation des allergies, et quelles sont les implications socio-économiques de cette tendance croissante ?
Dr Isabelle Bossé : « Les populations des pays occidentaux industrialisés sont plus touchées, toutes les classes d’âge avec une moyenne autour de 30 ans, un peu plus les garçons que les filles, toutes les classes sociales avec une majoration dans les classes défavorisées.
Le coût économique est très lourd : rhinite allergique 1,29 milliard d’euros en Europe, asthme allergique 1,5 milliard d’euros en France, coûts indirects plus de 100 millions de journées d’absentéisme en Europe par an. »
Solutions et mesures préventives
LRi : Quels rôles jouent l’alimentation et les habitudes de vie dans le développement des allergies, et existe-t-il des mesures préventives efficaces pour atténuer cette progression ?
Dr Isabelle Bossé : « Les modifications de l’alimentation, avec des aliments ultra-transformés sont en partie responsables de nombreuses pathologies (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, cancers et allergies) plus les additifs, les pesticides etc, avec un rôle important certainement (en cours de recherches) du microbiome modifié par nos habitudes alimentaires, pollution de l’air…
Le mode de vie a également son importance : la sédentarité, le stress, la tabagisme, ou l’utilisation de substances toxiques (détergents, cosmétiques, parfums etc…).
Une des pistes serait de revenir à une alimentation saisonnière locale bio diversifiée, d’utiliser des produits et matériaux « propres » sans émissions de composés organiques volatiles, l’arrêt du tabagisme actif, passif et ultra-passif, et apprentissage des citoyens aux mesures basiques qui aident à améliorer notre environnement. Une autre piste qui a été bien étudiée et efficace est la diversification alimentaire précoce entre quatre et neuf mois chez les nourrissons qui protège des allergies alimentaires et de l’asthme. »
LRi : En tant que vice-présidente de la Fédération Française d’allergologie, quelles actions spécifiques recommandez-vous aux autorités sanitaires et à la population pour faire face à cette augmentation des allergies et améliorer la qualité de vie des personnes affectées ?
Dr Isabelle Bossé :« Tout le monde est concerné. Le patient, sa famille, ses proches, l’école, la cantine, les collectivités locales, régionales, la recherche fondamentale et clinique, l’industrie pharmaceutique, l’industrie agro-alimentaire, les autorités nationales de santé.
Pour moi cela passe par une information renforcée de tous ces acteurs pour comprendre que les allergies sont et vont être un problème de santé publique prégnant dans les 20 prochaines années et mettre en place des mesures à l’échelle de l’enjeu.
Il y a la mise en place de mesures relativement simples et peu coûteuses : aérer, utiliser des produits « propres », bien manger, faire du sport, diminuer le tabagisme. Et aussi des « plans allergies » aux divers niveaux de responsabilités adaptés et pas des usines à gaz. Il apparaît nécessaire voire vital de renforcer les liens entre associations de patients, professionnels de santé, administrations concernées pour ne pas perdre de temps d’énergie et d’argent, développer ou renforcer des initiatives comme les pollinariums sentinelles, les mesures de pollution intérieure, les choix de matériaux dans les constructions (écoles, crèches notamment), la végétalisation des villes, la lutte contre le réchauffement climatique, augmenter la formation des PS, développer des réseaux de soins, avoir accès à un allergologue… »