Karell Bertet est professeure à l’université de La Rochelle. Son domaine de prédilection : ce sont les algorithmes. C’est une sommité mondiale dans ce domaine.

Son défaut : elle fume. Beaucoup. Mais elle le sait. Et la cigarette électronique lui donne  »un peu » bonne conscience ce qui ne l’empêche pas « de taxer une clope à une copine quand elle le peut », raconte une de ses amies de La Rochelle. Cela dit, elle fait tout pour ne pas ennuyer ses interlocuteurs avec ce qui lui jaunit parfois les bouts de doigts. Elle essaierait bien d’arrêter, mais ce n’est pas le moment. Pas encore. Ça viendra. Comme tout ce qui lui est arrivé dans sa riche vie de très jeune quinquagénaire. Ça vient quand ça doit venir.

Nom : Bertet. Prénom : Karell. Age : 51 piges. Elle ne les fait pas.

Née à La Rochelle, c’est dans cette ville qu’elle vit depuis plus de vingt-cinq ans après un détour dans le sud est du département de la Charente-Maritime puis par Bordeaux et Paris où elle a fait ses très très longues études. C’est là aussi, à l’université de la Rochelle, qu’elle vient essaimer son savoir immense sur les algorithmes. Dans son domaine, la dame, professeure des universités en titre, est une sommité. Elle fait partie de cette petite quinzaine de chercheurs dans l’hexagone, « une centaine dans le monde » à maîtriser parfaitement son art. Celui qui permet à des logiciels comme Excel pour les connaisseurs, d’exister… Ou certaines applications de vos smartphones de ne pas bugger.

Étudiante, elle se shoote au Guronsan

« Sur quelques aspects structurels et algorithmiques des treillis (une structure algébrique) ». Ne cherchez pas, c’est le nom de sa thèse qu’elle a passée brillamment en 1998. Un moment de sa vie qu’elle ne peut oublier. Cette année-là, quand Zidane met ses deux buts de la tête dans les filets brésiliens, elle a la jolie idée de mettre au monde un petit garçon : Théo.

Les mois qui suivent, « en me shootant au Guronsan », elle passe les concours de maître de conférences. Et bingo, en 1999, elle décroche le sésame et donc un poste. La Rochelle, ville où elle avait poussé son premier cri lui fait de l’œil bien des années après son départ, toute petite « à l’âge d’un mois. » Elle y pose ses valises « et on tombe amoureux de la ville », se souvient-elle. Nina viendra agrandir la famille en août 2000.

Le premier algorithme 300 avant JC

Quand on évoque avec elle les algorithmes, Karell Bertet a pleinement conscience que « le terme peut faire peur «  reconnaît-elle. « Or, le premier algorithme date d’Euclide (300 av. J.-C) avec le calcul de Plus grand commun diviseur… La science des algorithmes remonte aux années 1950. Ce n’est donc pas forcément lié aux ordinateurs. » Bon, vu comme ça, ça paraît un peu plus simple. Un peu…

Cette passion pour l’informatique et donc pour les algorithmes ne lui est pas tombée sur la tête toute petite. Oh que non. « Ce fut une révélation à vingt ans », se souvient-elle. « J’avais un super prof : Robert Cori. J’ai tout de suite adoré. C’est là que je me suis dit : j’arrête de faire la fête tous les jeudis soirs. J’étais en troisième année informatique… » . C’est un tournant dans sa vie. Le début d’une passion qu’elle partage depuis avec ses étudiants de La Rochelle, Niort et ceux de Hanoï au Vietnam où elle donne quelques heures de cours par an.

Et récompense de ses années de travail, de recherches, de nuits parfois blanches, en 2020, elle découvre un algorithme novateur, « avec un scientifique russe« . Leurs recherches vont permettre « de faire sauter deux gros verrous scientifiques« . Et se conclure par une remarquée publication dans une revue scientifique.

Comme une recette de cuisine

Photo Amanda BRONSCHEER

Karell ne crée pas les logiciels. Comme elle le dit avec un sourire au néophyte qui écrit ces lignes, « un algorithme, c’est comme une recette de cuisine pour faire des traitements informatiques. Je m’intéresse à l’étude de l’algorithme. Mais pas à la programmation. »

Plus prosaïquement, elle prépare donc les ingrédients qui serviront plus tard à un plat qui sera indigeste pour celles et ceux qui fuient les maths, les équations à mille degrés, et le code informatique. Mais qui va procurer un orgasme intellectuel aux matheux, informaticiens et autres scientifiques qui, comme elle, se repaissent de ces formules nées de l’intelligence humaine.

Incognito en ville

Oui, messieurs dames, Karell Bertet fait partie de ces génies de l’informatique connus dans le monde entier. Mais qu’on peut croiser incognito sur le Vieux port, boire une bière à la mi-temps d’un match du Top 14, ou de faire ses courses au marché central.

D’une grande bienveillance également, la scientifique n’étale pas sa science comme d’autres la confiture sur une tartine toastée. La professeure qui sait que son art n’est pas forcément compréhensible du commun des mortels, sait rester malgré tout à son niveau. C’est ça l’intelligence. Et elle n’est pas artificielle.

LA ROCHELLE INFO : QU’EST-CE QUE LE HARCÈLEMENT AU TRAVAIL VOUS ÉVOQUE ?

Karell Bertet : « Enseignante-chercheuse à l’université, et plus particulièrement en sciences, je ne suis pas particulièrement concernée par les problématiques de discrimination et/ou harcèlement au travail. En revanche, j’ai pu observer les phénomènes du plafond de verre et de l’effet Mathilda »

LRI : QU’EST-CE QUE VOUS ÉVOQUE LE SUJET DE LA DISCRIMINATION AU TRAVAIL ?

KB : « L’effet Matilda est le déni, la spoliation ou la minimisation récurrente et systémique de la contribution des femmes à la recherche scientifique, dont le travail est souvent attribué à leurs collègues masculins » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Matilda). J’ai pu observer que, à compétences égales, les femmes ont tendance à se mettre en retrait et à minimiser leurs compétences. Je l’ai particulièrement observé chez les étudiantes à l’université.

La notion de « plafond de verre » renvoie au fait que les femmes peuvent progresser dans la hiérarchie de l’entreprise mais seulement jusqu’à un certain niveau » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Plafond_de_verre). A l’université de La Rochelle, on peut observer un très faible taux de femmes aux postes de professeure des universités, qui est le poste le plus haut de la hiérarchie, alors que le taux de femmes est « normal » aux postes de maître de conférences du niveau juste en dessous, et élevé aux postes de secrétariat. »

LRI : SELON VOUS, QU’APPORTE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES DROITS DES FEMMES ?

KB : « La journée internationales des droits de la femme est l’occasion de sensibiliser autour des discriminations, harcèlements et violences sexistes, mais aussi de mettre en avant des initiatives autour de la femme. Ces portraits de femmes en sont l’illustration, c’est une très belle initiative ! »

LRI : QUEL CONSEIL OU LEÇON AVEZ-VOUS APPRIS ET QUI EST DEVENU UNE LIGNE DE CONDUITE AUJOURD’HUI ?

KB :  » En ce qui concerne ma ligne de conduite, je dirais que je suis très vigilante dans mes interactions professionnelles et personnelles sur tout ce qui relève d’un comportement sexiste, et j’interviens dès que je le peux. »